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Le Sénégal doit penser son système éducatif et le faire exister

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En 1992, de retour au Sénégal après des études en Europe, Amadou Diaw fonde une école de commerce privée à Dakar. Vingt-cinq ans plus tard, l’Institut supérieur de management (ISM) est devenu une référence en Afrique francophone. Plus de 20 000 étudiants y ont été formés et constituent aujourd’hui un important réseau d’anciens élèves. Fort de cette expérience, Amadou Diaw a ouvert cinq lycées privés qui figurent parmi les dix meilleurs du pays. Alors qu’il souhaite s’étendre en Afrique, il revient sur les enjeux d’éducation, de formation et d’emploi dans la région.

 

Dans quel contexte avez-vous créé l’Institut supérieur de management en 1992 ?

Au terme de mes études en Europe et à la suite d’une courte expérience professionnelle en France, j’ai décidé de revenir au Sénégal. Angoissé par le retour, en raison de l’étroitesse des perspectives dans le secteur privé, je me suis beaucoup intéressé et renseigné sur la situation des entreprises au Sénégal.

Les années 1980 correspondent à une première ère de changement. La décennie commence avec le départ volontaire du président Léopold Sédar Senghor, premier des pères de l’indépendance, en 1980 et l’arrivée de son successeur Abdou Diouf, qui voulait faire de l’entreprise le moteur du développement. Au même moment, on a assisté à l’éclosion de PME sénégalaises et donc à un besoin de ressources humaines. En parallèle, le système éducatif sénégalais entrait dans une phase difficile (en raison des coupes budgétaires entraînées par les programmes d’ajustement structurel, ndlr). Cette phase n’a d’ailleurs fait que s’amplifier par la suite. Nous entrions dans un tunnel.

 

Avez-vous réalisé une étude de marché avant de vous lancer ?

J’ai pris connaissance des multiples rapports élaborés sur les ressources humaines au Sénégal. Notamment une étude de la Banque mondiale sur le coût et le financement de l’enseignement supérieur en Afrique francophone, en termes de dépense publique et privée. Il en ressortait qu’au Sénégal, la contribution des ménages au financement de l’enseignement supérieur était de 23 % (contre 77 % pour l’État).

L’étude, mise à jour en 2007, évaluait la dépense publique annuelle par étudiant en 2003 à 246 dollars au Sénégal contre 750 dollars au Rwanda et 550 au Burkina Faso (chiffres les plus hauts d’Afrique francophone), et seulement 57 et 84 dollars en République démocratique du Congo et au Cameroun.

 

À lire aussi sur iD4D : « ODD : “La santé et l’éducation des enfants devraient rester des priorités absolues en Afrique” », par Ian Hopwood, enseignant à Sciences-Po Paris, ancien représentant de l’Unicef au Sénégal.

 

Mais, en réalité, ma vraie étude de marché, je l’ai menée lors de mes années à la tête de la permanence du patronat au Sénégal. Tous les jours, j’ai écouté les dirigeants des principales entreprises du pays formuler leurs inquiétudes et leurs besoins.

 

Comment avez-vous su proposer une offre de formation en adéquation avec les besoins du marché du travail ?

Quand on parle de débouchés, je pense qu’il faut bannir ce terme d’adéquation de notre vocabulaire, justement. Cela me semble bien prétentieux de penser savoir quels sont les métiers de demain au point d’avoir la possibilité d’en élaborer les programmes de formation. Non, concentrons-nous plutôt sur la formation des Africains de demain, des femmes et des hommes ouverts au monde et enracinés dans leur histoire et leur culture, qui sauront s’adapter aux défis d’un marché du travail en perpétuelle mutation.

 

À lire aussi sur iD4D : « Emploi des jeunes : les défis d’OpenClassrooms en Afrique », par Pierre Dubuc, PDG et cofondateur d’OpenClassrooms.

 

Suivez-vous les exemples d’excellence donnée par l’offre privée d’éducation en Afrique anglophone ou dans le monde anglo-saxon de manière plus générale ?

Oui, j’y suis très attentif. Trois expériences intéressantes à mon sens ont vu le jour sur le continent :

  • le programme Enko pour les cycles secondaires, qui dispose d’écoles en Afrique du Sud, au Mozambique, au Cameroun, en Côte d’Ivoire et au Sénégal ;
  • les programmes de l’African Leadership Academy (ALA) fondée en 2004 à Roodeport, en Afrique du Sud, par le Ghanéen Fred Swaniker, le Camerounais Acha Leke, l’Américain Chris Bradford et le Sud-Africain Peter Mombaur ;
  • la Ashesi University à Accra, établissement privé fondé au Ghana en 2002 par Patrick Awuah avec la même ambition panafricaine et un souci d’excellence.

 

Quel est le principal reproche que vous adresseriez aux décideurs politiques en matière d’enseignement supérieur et d’emploi au Sénégal sur les vingt-cinq dernières années ?

En toute honnêteté, j’ai été souvent associé aux réflexions sur le système éducatif et j’ai apporté mes idées. La mise en œuvre est toujours difficile. Une rupture forte dans la pédagogie est nécessaire et il faut penser l’enseignant du futur. Le chercheur, le concepteur, le rédacteur, l’animateur et l’évaluateur ne peuvent pas être la même personne. Nous ne pouvons avoir tous ces talents en même temps. Le métier d’enseignant doit évoluer.

 

Quelles sont les principales avancées faites par le Sénégal en matière d’éducation ?

Le Sénégal est le pays qui accueille le plus d’étudiants étrangers en zone francophone. L’université Cheikh Anta Diop (UCAD) de Dakar est la première université francophone d’Afrique dans les classements. Le Sénégal a formé des dizaines de dirigeants et entrepreneurs qui font l’Afrique d’aujourd’hui, grâce à des établissements comme l’École normale William-Ponty ou le Prytanée militaire de Saint-Louis.

Cependant, la loi du marché a pris le dessus. Et j’en suis un des acteurs. Du fait de toutes les résistances à la réforme de l’enseignement public, lequel fait certes la réputation de notre pays mais est en crise depuis les années 1980, l’enseignement privé s’est imposé en moins de vingt-cinq ans. Aujourd’hui, un étudiant sur quatre se trouve dans un établissement privé. Une nouvelle relation est née avec le système éducatif. Une concertation nationale sur l’avenir de l’enseignement supérieur a été initiée en 2013 par le président Macky Sall. Les choses avancent, notamment en matière de décentralisation du système éducatif, ce qui vise à désengorger Dakar et à promouvoir l’essor des universités à l’intérieur du pays. C’est déjà le cas avec l’université Gaston-Berger à Saint-Louis, par exemple.

 

À lire aussi sur iD4D : « Migrations : mettre fin aux clichés sur la fuite des cerveaux », par Khady Sakho Niang, présidente du Forim.

 

 

Qu’ont fait les bailleurs de fonds de positif et de négatif depuis vingt-cinq ans au Sénégal ? Et qu’attendez-vous d’eux pour faire face à l’enjeu démographique qui arrive ?

Je ne suis pas juge, mais il y a eu des dégâts. Un pays – et cela vaut pour le Sénégal – doit penser son système éducatif et le faire exister. Nous avons souvent été un terrain d’expérimentation, notamment à travers les programmes d’ajustement structurel des années 1980. Nous en vivons les conséquences aujourd’hui : les classes des lycées et des universités sont en sureffectif flagrant après des années de coupes drastiques dans le budget de l’éducation.

Aujourd’hui, un programme intéressant est en cours avec la Banque mondiale pour fournir un ordinateur à chaque étudiant. L’appui aux opérateurs privés dans l’enseignement par PROPARCO est également une piste intéressante. Pour le reste, il me semble que les bailleurs de fonds pourraient se fonder sur les côtés positifs de l’expérience sénégalaise comme la qualité des ressources humaines et de l’ingénierie pédagogique plutôt que de pointer ses faiblesses. S’ils s’en faisaient l’écho, ils feraient passer le bon message.

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